Fonction: cinéma – Genève

Fonction: cinéma – Genève

QUE SOMMES-NOUS DEVENUS projeté à Fonction: cinéma les 25 et 26 octobre 2019 a fait salle comble. Nos remerciements vont aux personnes qui ont rendu l’organisation de ces deux séances possibles et à celles qui ont assuré la modération entre le public et les protagonistes du film: ATD Quart Monde est un mouvement de personnes sans lesquelles nous n’existerions pas.

Le 25 octobre, la projection a été suivie d’un partage avec le public et les protagonistes du film sous la modération de Mathieu Menghini, historien et praticien de l’action culturelle qui nous livre son analyse du film :

Que sommes-nous devenus?

Dans son documentaire QUE SOMMES-NOUS DEVENUS, le réalisateur Simeon Brand suit ses parents – Anne-Claire et Eugen – sur plusieurs sites (Caen, Créteil, la Suisse) de leurs engagements passés en qualité de volontaires. Il force notre respect par son humilité, par celle de sa caméra jamais impatiente.

La construction du film ouvre de multiples dimensions :
La psychologie, d’abord, par la délicatesse de l’interaction du fils et de ses parents, par les caractères exceptionnels des militants d’ATD paraissant à l’image. La culture, ensuite, par l’abord de situations distinctes entre province et banlieue françaises d’un côté, réalité helvétique de l’autre. Perspective sociale, troisièmement, par le motif attendu et continu de la pauvreté. Perspective politique, enfin, par l’apparition en plusieurs endroits de représentants du pouvoir – nous évitant ainsi d’envisager les problématiques traversées sous un angle étroitement caritatif.

Contre toute vision exclusivement économiciste de la grande pauvreté, QUE SOMMES-NOUS DEVENUS parvient à révéler combien l’injustice tient à l’être autant qu’à l’avoir, à certaines humiliations autant qu’à une gêne financière.

Brand nous paraît, en outre, éviter l’écueil du misérabilisme: d’une part, en prenant soin de capter des moments montrant les protagonistes en lutte pour leur dignité; d’autres part en parvenant à faire de la parole l’acteur majeur de son œuvre.

L’«activisme » des militants se lit, par exemple, dans leur créativité, dans leur répartie face aux puissants, dans leur quête de réhabilitation et, plus fort encore, dans leur aptitude à l’entraide.
Les volontaires d’ATD sont eux-mêmes montrés dans le miroitement de leurs qualités : aptitude à écouter profondément, à parler sans pontifier et à attester avec précision de ce qu’ils apprennent des représentations et savoirs des usagères et usagers.

L’entame et la conclusion de que sommes-nous devenus  se répondent d’une manière piquante : la première scène se tient à l’Université populaire de Caen, en présence d’un conférencier représentant vraisemblablement la Macronie venu vanter le mérite « considérable » de la réduction de la paperasserie attendue en contrepartie de certaines aides sociales. L’intervenant commence par (con)descendre de son podium pour rejoindre et littéralement tâter le pouls du premier rang. Magnanime, il affirme l’universelle égalité de l’assistance : chaque être pèse ses mêmes «37 degrés» – une équation métaphorique qui n’a pas l’heur de convaincre ses vis-à-vis… Au terme du documentaire, nous nous retrouvons dans le modeste camping-car de Jean-Marc. Il explique à Eugen Brand les cent pas qu’il entreprend quotidiennement dans ce qui paraît dès lors une souricière. Puis Jean-Marc quitte le véhicule et fait quelque pas en direction d’un bois voisin. Il laisse derrière lui une bouilloire crépitante. Incipit à température ordinaire, coda en ébullition – comme pour signifier la discrépance entre bienveillance superficielle et urgence sociale.

Par Mathieu Menghini,
historien et praticien de l’action culturelle